Cartons

in 'christian renonciat, Au fil du bois', éditions Carpentier. 2013

Le carton est un matériau fascinant, que chats, enfants et sans-logis ont reconnu depuis toujours : il est le meilleur des miroirs du corps, auquel il renvoie, intacte, sa chaleur ; il a la douceur des papiers bis dont il est fait, et leur couleur tendre et chaude de bois clair.

Ce n’est pas tout : ces propriétés, alliées à une résistance miraculeuse, résultent du mariage réussi d’une matière et d’une géométrie : le papier et l’ondulation (la sinusoïde). C’est donc un matériau unique, pur produit du génie humain, moitié idée moitié chair. L’industrie en a déployé pour nous toutes les subtilités, choisissant les variétés de papier pour chaque couche du carton (l’intérieur plus doux, l’extérieur plus solide, etc.), variant la longueur d’onde des vagues de papier superposées pour qu’aucune faiblesse ne résulte de la répétition.

Et moi, je me délecte, je me perds dans cette subtilité que je découvre en la transcrivant, que je comprends en la disséquant. À cause du temps qui s’est un moment arrêté, et du glissement par lequel on s’est perdu, hors d’échelle, dans un fragment de carton, il y a même quelquefois, dans ces instants privilégiés de l’atelier (à cause de la musique, aussi), de grands bonheurs de voyages à la Lewis Carroll. Le carton est alors comme un petit laque de Chine : il tient dans la main, mais recèle les ingrédients du monde : une montagne, un héron, une cascade, un philosophe…

Le carton a une infinité de façons de résister à la déchirure, d’y céder s’il le faut, de cicatriser ses blessures, de faire chanter enfin cette partition d’ondulations qui ressemble étrangement à une moderne partition de musique.

Le carton est un monde, où chacun se reconnaît.